LinkedIn, l’algorithme et la mort du verbe

LinkedIn, l’algorithme et la mort du verbe

Par Leila Messouak

Communiquer c’est tout un art. Il y a ce qu’on souhaite dire, la manière dont on l’exprime, ce que reçoit l’interlocuteur. Il y a le message, l’émetteur et le récepteur. En 2024, il y a aussi l’algorithme, la volonté d’exister et l’intelligence artificielle générative. Or, communiquer, c’est produire du son. Pour que le bruit se fasse musique, il faut de la nuance et des silences. On peut alors légitimement s’interroger : peut-on s’autoriser à être silencieux à l’ère de la communication permanente ?

« Un bel tacer non fu mai scritto », un beau silence ne peut s’écrire. Padre Giovanni. « La parole est d’argent, le silence est d’or ». La sagesse classique regorge de maximes valorisant la parcimonie lorsqu’il s’agit de la parole. Les sages nous invitent à soigneusement choisir nos prises de parole et à privilégier, somme toute, la qualité à la quantité. Toutefois, force est de constater que le rythme avec lequel les ruptures technologiques émergent s’accélère, en marquant toujours davantage notre manière de communiquer. Si, auparavant, communiquer relevait principalement de l’art oratoire, d’une forme d’élégance argumentative et stylistique, communiquer aujourd’hui serait volontiers l’affaire de phrases courtes et pugnaces. Et puis, les réseaux sociaux ont remplacé le Forum.

LinkedIn est ce réseau social puissant, créé en 2003 dans la Silicon Valley. L’idée originelle était d’offrir un espace pour multiplier les opportunités professionnelles et utiliser le pouvoir du numérique pour accroître son réseau, la portée de son message et gagner en efficience. Or, en vingt ans, l’adoption du réseau a crû de manière exponentielle et les technologies qui le soutendent ne cessent d’être raffinées. La beauté des réseaux sociaux se loge dans ces mystérieux algorithmes qui ont le pouvoir de faire les leaders d’opinion d’aujourd’hui et de demain. Un algorithme opaque, changeant, volatile : tout puissant. Parmi les règles connues de tous, il a la régularité. Poster souvent, poster régulièrement. Exister, interagir. Un bouton cœur vaut plus qu’un simple pouce en l’air. En définitive, la plateforme valorise ceux qui la font vivre de manière active. Du reste, pour faciliter cette existence, la plateforme elle-même propose de courtes phrases pour interagir facilement, sans trop avoir à penser son message. On valorise l’acte impulsif, facile d’accès, au détriment du message de félicitations authentiquement chaleureux ou de la participation vraie à la conversation par une remarque pensée et pesée, réfléchie et véritablement écrite.

Alors, je constatais il y. a quelques semaines que le verbe était en train de disparaître sur LinkedIn. On retrouve sur la plateforme, en effet, pléthore de réponses amputées de leur substance : « Une bonne réflexion. », « Un article de qualité. », « Une excellente nouvelle ! » : autant de courts messages qui pullulent. Le message devient définitif, assez pauvre. Voire tout à fait creux. Les réseaux génèrent de multiples opportunités pour les professionnels. Toutefois, ils façonnent l’époque comme ils en sont le reflet. La facilité avec laquelle on peut s’exprimer réduit considérablement le temps de réflexion que l’on accorde à l’élaboration d’un message pertinent, original, personnel et authentique.

L’injonction à communiquer, coûte que coûte, dans un environnement saturé de contenus, pèse sur chacun d’entre nous. Si la contre-tendance du slow-living devient de plus en plus prégnante lorsqu’il s’agit de notre rapport à la vie, au temps ou à la consommation, peut-être pourrions-nous envisager de privilégier la slow-com ? Et s’exprimer, mais alors s’exprimer vraiment. 

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