17 Sep L’authenticité est-elle le dernier trait intrinsèquement humain encore vivant ?
Auteur : Robert Mighall, Directeur de la stratégie de marque et rédacteur en chef, The Articulate Collective et auteur
Crédit photo : Christian Paul Stobbe sur Upsplash
L’autorité est sans aucun doute une qualité précieuse que les marques s’évertuent à démontrer à travers leur contenu. C’est d’ailleurs précisément la base du leadership d’opinion (thought leadership) mais aussi l’un des principaux critères clés de Google dans le classement SEO, comme l’illustre son acronyme maladroit EEAT (Expérience, Expertise, Autorité et Fiabilité).
Les travaux de recherche assistés par l’intelligence artificielle générative (IA-Gen) sont en train de tout bouleverser et risquent d’éroder ces préceptes. Les chatbots commencent ainsi à se comporter comme des experts avec des réponses très affirmées, structurées et précises. Gageons qu’ils gagneront peut-être un peu d’expérience à mesure que les grands modèles de langage (LLM) continueront d’apprendre. Mais ils ne peuvent pas prétendre avoir réellement d’autorité car ils ne « savent » pas réellement ce qu’ils affirment, même si cela provient des sources les plus pertinentes.
Ils ont encore un long chemin à parcourir avant de mériter une confiance aveugle…
L’autorité reste une propriété précieuse à laquelle aspirer si vous voulez être visible et valorisé sur n’importe quel canal… avec un ingrédient clé que les machines ne peuvent pas encore revendiquer : l’authenticité.
Cette dernière deviendra au fil du temps un véritable critère différenciateur de l’humain et ce à mesure que les machines progresseront.
Une courte incursion dans l’étymologie latine et l’histoire littéraire.
Autorité et authenticité partagent une racine latine commune. Mais historiquement, la première a toujours eu plus de… eh bien, d’autorité en tant que concept.
L’autorité était synonyme de pouvoir dans l’Antiquité. Elle résidait dans la fonction et s’exprimait par des actes plutôt que par des paroles. Elle s’est ensuite élargie pour inclure le respect conféré à cette fonction et à son titulaire.
Ce n’est que beaucoup plus tard qu’elle a commencé à désigner la connaissance ou l’expertise chez les individus. Elle s’exprimait alors dans leurs écrits ainsi que dans leurs actes. C’est à ce moment-là qu’elle est entrée dans le domaine de ce que nous appellerions aujourd’hui le contenu.
Dans le monde classique, l’autorité était la qualité la plus importante à démontrer dans les œuvres littéraires, philosophiques et même scientifiques. Cela impliquait une déférence presque servile envers la sagesse ancienne. À l’époque, on ne démontrait pas tellement l’autorité, on l’empruntait aux savoirs approuvés et validés des anciens.
Et ce poids mort de l’autorité a persisté pendant des siècles, au moins jusqu’à ce que les auteurs romantiques défendent l’originalité et l’expérience personnelle comme axe principal de l’art. Cela a coïncidé avec la première révolution industrielle, où l’innovation et la focalisation sur l’avenir ont défié une perspective qui encourageait la conformité consensuelle plutôt que la concurrence.
Pardonnez cette digression littéraire et historique grandiloquente, mais elle est là pour apporter un peu d’autorité auguste à mon argumentation ainsi qu’une bonne pincée d’authenticité.
J’étais autrefois historien littéraire. Les vieilles habitudes ont la vie dure ! Et cela prouve ici mon approche… authentique.
Pensez comme un auteur, pas comme une autorité quand vous partagez du contenu
Cela pose également les bases de l’argument selon lequel trop d’autorité n’est pas une bonne chose lorsqu’on cherche à construire une marque à travers le contenu et les messages. Bien qu’elle soit la base des livres blancs, des rapports et des études de cas, sans une voix authentique, une personnalité ou un point de vue, vous ne vous distinguerez pas de la foule et ne construirez ni sympathie ni confiance.
J’ai d’abord identifié ce problème et sa solution en aidant l’équipe marketing d’un cabinet d’avocats londonien à corriger ses messages et son storytelling. Mais je l’ai rencontré dans de nombreux autres recoins du monde B2B depuis et j’ai appliqué le remède que j’ai élaboré pour ce projet particulier.
Le cahier des charges consistait à dynamiser les textes et les messages par une série d’ateliers et de consultations. Très vite, j’ai identifié la cause profonde du contenu sec et générique qu’ils avaient tendance à partager. Les associés tout-puissants du cabinet prêtaient une grande attention au contenu et aux messages marketing.
Chacun de ces associés avait atteint ce statut en étudiant durement, en travaillant durement, en connaissant son domaine d’expertise et en établissant son autorité dans ce dernier. Ils incarnaient cette autorité pour le cabinet et voulaient que cela se reflète dans leur communication.
Mais c’était également le cas de tous les associés des cabinets concurrents à Londres et au-delà. Ils avaient étudié les mêmes sujets, dans les mêmes écoles et s’appuyaient aussi fermement sur l’autorité qu’ils avaient acquise et qu’ils incarnaient désormais.
C’est peut-être comme cela que l’on devient associé. Mais ce n’est pas ainsi que l’on construit une marque lorsqu’on est en concurrence pour des affaires.
En approfondissant, j’ai découvert que ce cabinet pouvait revendiquer quelque chose de distinctif dans ses études de cas. En raison de la spécialisation historique du cabinet, ces affaires montraient une volonté intrépide de s’aventurer dans des situations volatiles à travers le monde pour représenter les intérêts de leurs clients. Certaines de ces histoires se lisaient comme des intrigues de thrillers, permettant à une attitude distincte d’émerger à travers ce trésor de contenu authentique.
Ces découvertes ont contribué à façonner une stratégie de contenu et des principes de ton de voix : l’équipe devait penser davantage comme des auteurs que comme des autorités dans leur storytelling. Une distinction subtile qui a permis aux associés de s’identifier et d’adopter une nouvelle personnalité de marque, tout en restant fidèle à celle-ci.
Authenticité pour une ère artificielle
De l’ancien monde à l’aube de la postmodernité, mon argument revient à son point de départ.
J’ai brièvement évoqué plus tôt à quel point l’autorité est cruciale pour la prouvabilité dans le paysage de recherche façonné par l’IA générative. Du moins pour l’instant. À mesure que les bots récupèrent et relaient la sagesse collective du web, faisant croire à une autorité propre pourtant empruntée sur des sujets divers avec une conviction croissante, les lignes deviendront inévitablement floues.
L’authenticité pourrait bien être le dernier trait intrinsèquement humain encore vivant.
L’authenticité n’est pas seulement un rempart contre les contrefaçons et la désinformation lorsqu’on cherche à obtenir un savoir autorisé par l’IA. Elle est, ou devrait être, une référence d’originalité et de qualité.
Au final, elle est le reflet de l’humanité.
Le même esprit romantique qui a défié la tyrannie de l’autorité classique pourrait bientôt devoir être ravivé. Si le savoir redevient un corps consensuel de faits et d’opinions établis, régurgités et de plus en plus générés par des cerveaux artificiels, l’étincelle prométhéenne de la curiosité humaine authentique deviendra de plus en plus essentielle pour les marques qui veulent se démarquer et rester fidèles dans cette époque de plus en plus artificielle.
Post-scriptum

Alors que je termine ce post, je réalise que l’authenticité fait son entrée sur LinkedIn, avec la dernière tendance des révélations crues et du style « voici qui je suis vraiment ». Au départ, c’est une correction bienvenue à la netteté aseptisée et commerciale qui a transformé LinkedIn en une sorte de maternelle de revendications plutôt qu’en un lieu d’échange d’idées. Mais une mode reste une mode, et essayer d’être authentique finira vite par annuler l’effet recherché, pour devenir son opposé.
Il reste manifestement encore beaucoup de travail à faire.
(Authentique photo de l’auteur prise pour la promotion d’un livre que j’ai écrit il y a de nombreuses années sur le Soleil. Grâce à la recherche et à l’obsession, je suis devenu une autorité sur ce sujet. Mais si nous avons des photos d’auteur, c’est pour montrer la personnalité authentique derrière l’œuvre, qui était ce jour-là, je m’en souviens, authentiquement en gueule de bois).
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